Il y a quelques années (2003), dans un article consacré à « L’argent dans l’histoire de l’Eglise », nous rapportions ce que disait un jeune étudiant : «L’église est un business». Cette remarque, bien que caricaturale, reflète l’opinion de plus d’une personne ; d’où un besoin pressent de donner plus d’éclairage sur un sujet qui continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive, à savoir le thème de « l’évangile de la prospérité ». Car l’on a généralement éprouvé de la difficulté à traiter de la question matérielle ou financière dans un langage ou le « spirituel » prend (en principe) généralement le pas. Comment parler du « Dieu de l’or et de l’argent » qui agrée plus la petite offrande de la pauvre veuve que les grosses sommes d’argent versées par les riches fidèles (Marc 12 :41-44). Comment prêcher l’évangile de Jésus qui dit qu’il « est venu pour que ses brebis aient la vie en abondance » (Jean 10.10), tout en n’oubliant pas « qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux » (Marc 10 :25) ? Comment concevoir la pauvreté au milieu du peuple de Dieu alors que « Jésus s’est fait pauvre afin que nous devenions riches » (2 Corinthiens 8 : 9) ? C’est toute la problématique de l’évangile de la prospérité dont l’influence en Afrique n’a d’égal que les ravages qu’il crée au sein de nos églises, dans un environnement de crise économique exacerbée par toutes sortes de perturbations socio culturelles. C’est pourquoi, lorsqu’on évoque la question de l’évangile de la prospérité, il est bon d’avoir une idée précise de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas. C’est une doctrine – plutôt une des hérésies les plus habiles qui captivent et qui prennent souvent à contrepied les chrétiens, même certains des plus avertis.
La bénédiction matérielle comme certification de l’obéissance à Dieu ?
Parmi les grands hommes qui ont connu la prospérité et cités dans la Bible, Job se retrouve comme un atypique. En effet, on ne trouve pas beaucoup d’autres hommes comme lui ayant connu la grande prospérité, la misère extrême puis de nouveau la prospérité, de leur vivant. Certains adeptes de l’évangile de la prospérité établissent un lien direct entre l’appartenance à Dieu et la richesse dont jouissait Job. La manifestation de l’œuvre de Dieu en Job se traduisait par le bien matériel et sa réussite familiale telle que relatée dans l’Ancien Testament. Pour soutenir l’idée de lien étroit entre la prospérité et l’appartenance au peuple de Dieu, plusieurs versets de la Bible sont bien utilisés. Deutéronome 28 :13 soutient bien le fait que dans l’obéissance, « tu seras la tête et non la queue » ; et Jean souhaite à son bien aimé Gaius de « prospérer à tous égards comme prospère l’état de son âme » (3 Jean 2). Il est bien entendu que Dieu n’est pas pauvre, et nous qui sommes ses enfants verrons mal une vie de pauvreté pendant que notre père vit dans l’abondance. C’est pourquoi, ceux qui prêchent cet évangile-là évite le plus souvent de commenter l’histoire du pauvre (mais juste) Lazare racontée par Jésus dans Luc 16 :19-31. En effet, quand on prêche l’évangile de la prospérité, on n’admet pas que Dieu puisse agréer un homme comme Lazare, qui a vécu dans la pauvreté extrême et qui est mort dans cette misère.
Essai de définition de « l’évangile de la prospérité »
Même s’il y a plusieurs variantes dans les messages, on retrouve 3 constantes dans la philosophie de l’évangile de la prospérité : richesse matérielle, le déni de la maladie et la confession positive.
Selon cette théorie, un chrétien ne doit pas connaître la pauvreté, encore moins la maladie. Car, la maladie et la pauvreté constituent la résultante d’un manquement (péché) à l’égard de Dieu et de soi-même. En tant que croyant, il ne faut donc pas parler de maladie ni admettre son existence : c’est le déni de la maladie. La confession positive signifie qu’il faut, par la foi, déclarer la guérison au milieu de la douleur et de l’infirmité. En terme plus simple, selon cet évangile, un enfant de Dieu ne doit pas être pauvre ni souffrir pour quelques raisons que ce soit. Une fois qu’une personne a accepté Christ, elle a trouvé la panacée à tous les maux de ce monde terrestre. C’est donc la voie royale pour triompher de la pauvreté et de toutes sortes d’insuffisances que nous fait subir notre corps terrestre. Selon les prédicateurs de cet évangile, la confession positive semble être le couronnement d’une foi agissante, conformément à ce qui est dit dans Marc 11 : 24 : « C’est pourquoi je vous dis : tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez déjà reçu, et vous le verrez s’accomplir ».
Ainsi donc, d’un côté, le chrétien doit posséder des richesses financières et matérielles qui sont, au dire des défenseurs de cet évangile, un signe de la bénédiction de Dieu. Un chrétien qui manque d’argent ou de biens matériels est considéré comme placé sous la malédiction de Dieu. De l’autre, le chrétien qui a un poste à grande responsabilité dans la haute hiérarchie de l’administration publique ou privée est considéré non seulement comme objet d’une bénédiction particulière, mais symbolise le vrai visage du « vrai chrétien ». Ce qui fait que très souvent, celui qui n’accède pas à ces postes à grande responsabilité n’est pas content de son sort. Alors, il doit consulter son pasteur, son « apôtre » ou son « prophète » pour faire une sorte de confession de péchés cachés éventuellement dans sa vie, et adresser des prières à Dieu.
Le summum de l’évangile de la prospérité semble être l’évangile du « Millénium Now » qui enseigne que tout chrétien, depuis l’an 2000, est déjà censé régner sur terre ! Donc tous ceux qui ne règnent pas sont de mauvais chrétiens… A y voir de très près, il y a des éléments de ressemblance avec ceux de la mouvance « New âge », mais sous une forme « pseudo évangélique ».
Une menace pour notre foi…
En dénonçant la subtilité de l’évangile de la prospérité, il ne s’agit pas de louer la pauvreté ou une simplicité culpabilisante qui conduise à mal comprendre Jésus quand il disait : « heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux (Matthieu 5 :3). Il ne s’agit pas de dire que la promotion matérielle et professionnelle est une menace pour notre foi. Il ne s’agit pas de dire que les biens matériels personnifient le diable entré en pleine église.
L’évangile de la prospérité nous éloigne du message du Christ en ce qu’il glorifie la richesse et prêche l’exclusivité. Son message est anti christ en ce qu’il est le ferment d’une classification des fidèles sur la seule base des biens visibles matériels. Il est contraire à l’évangile du salut en ce qu’il ressemble fort à la doctrine des indulgences telle que pratiquée par l’église au Moyen Age et qui facilitait le pardon (des péchés) par l’utilisation des bienfaits (charité) qu’accomplissaient les nantis (nobles, riches,..) à cette époque. En effet, Lorsque nous louons l’argent et les biens matériels, lorsque nous les mettons comme sur un piédestal au milieu de tout le message religieux, nous prenons le parti d’adorer plus Mammon, le dieu de l’argent. Et c’est un risque de se trouver en train de gagner plus la terre, et perdre ainsi le ciel.